samedi 21 janvier 2023

Le Courrier : La Marche bleue veut emporter la Suisse

      mercredi 18 janvier 2023 Achille Karangwa

 
La Marche bleue veut emporter la Suisse

Fera-t-elle un raz-de-marée auprès de la population? En tout cas, elle a déjà rempli l’Aula du Palais de Rumine à Lausanne mercredi soir. La Marche bleue – ainsi que l’ont baptisée ses quatre initiatrices vaudoises préoccupées par la sauvegarde la planète bleue – y a été présentée lors d’une conférence de presse originale. Du 1er au 22 avril prochain, ce périple entre Genève et Berne, porté par des femmes mais ouvert à toutes et à tous, a pour but de «créer une vague d’espoir».

Ornées de bleu, elles étaient une centaine (avec quelques hommes) à mimer leur consternation face à l’inaction climatique, dans la salle qui accueillait les député·es vaudois·es jusqu’en 2017. La presse, elle, était conviée à en être témoin en prenant les sièges qu’occupait le Conseil d’Etat à l’époque.

Une mise en scène, parfois musicale, durant laquelle plusieurs d’entre elles ont à tour de rôle présenté cette campagne de sensibilisation à la cause climatique qui sillonnera la Suisse ce printemps, et dont le manifeste appelle à «créer le changement radical qui assurera notre avenir». Une démarche initiée par quatre figures du canton de Vaud, qui déplorent «que la Suisse n’applique toujours pas les accords de Paris», a résumé l’avocate Irène Wettstein (lire ci-dessus).

Julia Steinberger, une des co-autrices du dernier rapport du GIEC, a expliqué qu’elle «marchait car les connaissances scientifiques ne suffisent pas». Leur idée: emporter l’enthousiasme populaire à travers une randonnée qui se déroulera durant les vacances de Pâques et sera jalonnée par une douzaine d’événements publics dans les communes, dont cinq journées thématiques à Genève, Lausanne, Neuchâtel, Fribourg, jusqu’à une grande journée à l’arrivée à Berne, le 22 avril.

Cette action, dont elles espèrent qu’elle soit d’envergure nationale, est déjà soutenue par une centaine de personnalités féminines de gauche, mais aussi de droite, à l’instar de l’ex-conseillère nationale Alice Glauser, issue de l’UDC vaudoise. Il s’agira de se nourrir des propositions de solutions écologiques apportées par les citoyens et citoyennes des communes traversées afin de les faire résonner au sein de la capitale politique du pays.

Informations et inscription: https://lamarchebleue.ch/

 

Le Palais de Rumine mercredi. Une centaine de personnes ont pris part au lancement de la Marche bleue

    


Attention à la marche!  

Quatre femmes lancent une marche de Genève à Berne pour relever le défi du changement climatique.  
 

Connues pour leur engagement professionnel, quatre femmes lancent une «Marche bleue» pour le climat entre Genève et Berne en avril et invitent la population à les rejoindre (lire ci-dessous). Portraits.

Irène Wettstein, avocate

«Nous avons le sentiment d’arriver au bout de ce que nous pouvons faire dans nos domaines d’expertise.» Irène Wettstein, 57 ans, a rassemblé plusieurs femmes, de milieux différents, pour marcher dans un esprit de «sororité» et lutter contre un sentiment de désespoir. L’avocate, qui a défendu pour la première fois des activistes du climat dans le cadre du procès de la partie de tennis à Credit Suisse en 2020, plaide souvent avec colère.

«J’attends que la justice, troisième pouvoir, incite à ces changements indispensables, en reconnaissant la légitimité de celles et ceux qui lancent l’alerte. Quand nous perdons, cela m’attriste. Pour rebondir, je passe à l’action.»

L’éveil écologique d’Irène Wettstein arrive sur le tard, lorsqu’elle est entraînée par son compagnon à une manifestation pour le climat en 2018. «Avant cela, ma conscience écologique se limitait au tri des déchets», sourit-elle. Elle commence alors à réaliser «l’ampleur du désastre». Elle accompagne alors plusieurs Grèves du climat en 2019. Lors d’une manifestation, elle constate l’occupation des locaux des Retraites populaires par des activistes. Elle leur tend sa carte de visite et se trouve ainsi entraînée dans la défense des militant·es du climat, qu’elle assure, comme les autres, pro bono.

Pour la Marche bleue, la Veveysanne a réservé trois semaines sur son temps libre. «Je vais marcher tous les jours, c’est essentiel. Sept ans après l’accord de Paris, nous n’avons pas encore de plan d’action climat concret et mesurable au niveau fédéral. J’espère que la mobilisation favorisera la mise en œuvre de solutions indispensables et urgentes à tous les niveaux.»

Valérie d’Acremont, médecin

Médecin tropicaliste et infectiologue à Unisanté, Valérie d’Acremont, 51 ans, a pris conscience du changement climatique en travaillant dans les pays du Sud. «J’ai compris que les efforts faits dans la santé publique allaient être perdus avec la nouvelle donne du changement climatique et de la perte de la biodiversité. Cela m’a révoltée», témoigne celle qui est aussi professeure de santé globale à l’Unil. Aujourd’hui, elle constate avec inquiétude que les courbes de la malnutrition remontent, à cause des mauvaises récoltes. «A terme, nous aurons moins de nourriture chez nous aussi.»

Ses premiers pas d’activistes, elle les a faits à Greenpeace, dès 2015. Elle a rejoint ensuite Engagés pour la santé, un groupe de soignant·es qui réfléchit à un système de santé équitable et respectueux de l’environnement.

En parallèle, celle qui est aussi conseillère communale verte à Lausanne s’est engagée à Extinction Rebellion et a cofondé le groupe Doctors4XR. On l’a vue à plusieurs reprises impliquée dans des actions de désobéissance civile. «On a surtout mené des actions de sensibilisation comme des pièces de théâtre, pour expliquer le réchauffement climatique en lien avec la santé.»

En 2021, avec des centaines de collègues, elle interpelle le directeur de l’OMS lors de l’Assemblée mondiale de la santé, puis Alain Berset, pour demander la décarbonisation du système de santé et un plan pour l’adapter au réchauffement climatique.

Participer à la Marche bleue est pour elle une suite logique. «Parfois, je me demande quel est le sens de mon métier, au vu de la catastrophe climatique en cours. On a tendance à continuer à foncer tête baissée dans notre routine quotidienne. Marcher, c’est prendre le temps de s’arrêter et de réfléchir.» A Berne, elle portera haut et fort la revendication d’une Assemblée citoyenne. «Quand les gens sont informés de manière transparente et équilibrée par toutes les parties prenantes, ils prennent des mesures en faveur du climat», défend-elle.

Bastienne Joerchel, directrice du CSP Vaud

Bastienne Joerchel, 57 ans, est connue pour son engagement social. Les questions liées à la globalisation l’ont accompagnée une grande partie de son parcours professionnel, d’abord à Helvetas, puis à Alliance Sud, où elle a travaillé pendant dix ans. «Les paysan·nes du Sud sont les premières victimes du réchauffement climatique. Inondations et sécheresses dévastent leurs terres. Et la responsabilité des émissions de CO2 incombent principalement aux pays riches», observe celle qui est aujourd’hui coprésidente de Swissaid.

Directrice du Centre social protestant Vaud depuis 2017, elle relève qu’en Suisse aussi, les plus précaires seront les premier·ères à subir le réchauffement climatique. «Ses conséquences créent des inégalités. Nous avons besoin d’y répondre de manière solidaire, en prenant en compte tout le monde», affirme-t-elle. A Renens, elle siège au Conseil communal dans les rangs des Vert·es.

S’engager pour la Marche bleue, c’est pour elle une «question de responsabilité». Elle compte profiter de sa fonction pour donner une visibilité à l’action pour des mesures climatiques. «Lancer cette initiative entre femmes, cela donne un élan. Dans les pays du Sud, beaucoup de changements ont été amenés grâce à leur mobilisation. Nous sommes toutes mères, nous voulons aller vers le mieux, pour nos enfants.» Elle espère que cela donnera du poids aux initiatives citoyennes et que la Marche arrivera avec des propositions concrètes à Berne.

Julia Steinberger, chercheuse

Scientifique et militante, Julia Steinberger, 48 ans, est de tous les combats pour le climat. «La neutralité scientifique est une idée qu’on instrumentalise pour protéger le statu quo. Si la science dit qu’il faut des transformations et que rien ne se passe, l’engagement devient nécessaire», martèle la professeure en sciences sociales du climat.

Coautrice du dernier rapport du GIEC, elle a commencé à faire de la «communication engagée» il y a quelques années. «En tant qu’invitée scientifique dans un festival, j’avais fait une présentation des enjeux sociaux du réchauffement climatique et encouragé alors les gens à devenir activistes», relate-t-elle.

Elle a participé aux premières manifestations d’Extinction Rebellion à Londres en 2018. De retour en Suisse, elle a défilé avec les Grèves du climat, donné des conférences à la demande d’étudiant·es de gymnase, puis s’est lancée dans des actions de désobéissance civile. Julia Steinberger a mené ses plus récents combats au sein de Renovate Switzerland. Elle n’aime pas le mot «espoir», n’est pas optimiste face à l’avenir mais donne toute son énergie pour alerter l’opinion publique et faire avancer la politique.

Alors que les politiques en faveur du climat sont selon elle trop souvent présentées de manière punitive, marcher ensemble est aussi une occasion pour les citoyen·nes de réfléchir ensemble à des transformations positives. «La plupart des gens sont inquiets, aimeraient faire quelque chose mais se sentent impuissants. En marchant, en se rencontrant, on va se parler les uns les autres, pour amener un nouveau souffle», affirme-t-elle en se réjouissant de l’enthousiasme suscité par une marche portée par des femmes.

Informations et inscription: https://lamarchebleue.ch/