Connues pour leur engagement professionnel, quatre femmes
lancent une «Marche bleue» pour le climat entre Genève et Berne en avril
et invitent la population à les rejoindre (lire ci-dessous). Portraits.
Irène Wettstein, avocate
«Nous avons le sentiment d’arriver au bout de ce que nous pouvons
faire dans nos domaines d’expertise.» Irène Wettstein, 57 ans, a
rassemblé plusieurs femmes, de milieux différents, pour marcher dans un
esprit de «sororité» et lutter contre un sentiment de désespoir.
L’avocate, qui a défendu pour la première fois des activistes du climat
dans le cadre du procès de la partie de tennis à Credit Suisse en 2020,
plaide souvent avec colère.
«J’attends que la justice, troisième pouvoir, incite à ces
changements indispensables, en reconnaissant la légitimité de celles et
ceux qui lancent l’alerte. Quand nous perdons, cela m’attriste. Pour
rebondir, je passe à l’action.»
L’éveil écologique d’Irène Wettstein arrive sur le tard, lorsqu’elle
est entraînée par son compagnon à une manifestation pour le climat en
2018. «Avant cela, ma conscience écologique se limitait au tri des
déchets», sourit-elle. Elle commence alors à réaliser «l’ampleur du
désastre». Elle accompagne alors plusieurs Grèves du climat en 2019.
Lors d’une manifestation, elle constate l’occupation des locaux des
Retraites populaires par des activistes. Elle leur tend sa carte de
visite et se trouve ainsi entraînée dans la défense des militant·es du
climat, qu’elle assure, comme les autres, pro bono.
Pour la Marche bleue, la Veveysanne a réservé trois semaines sur son
temps libre. «Je vais marcher tous les jours, c’est essentiel. Sept ans
après l’accord de Paris, nous n’avons pas encore de plan d’action climat
concret et mesurable au niveau fédéral. J’espère que la mobilisation
favorisera la mise en œuvre de solutions indispensables et urgentes à
tous les niveaux.»
Valérie d’Acremont, médecin
Médecin tropicaliste et infectiologue à Unisanté, Valérie d’Acremont,
51 ans, a pris conscience du changement climatique en travaillant dans
les pays du Sud. «J’ai compris que les efforts faits dans la santé
publique allaient être perdus avec la nouvelle donne du changement
climatique et de la perte de la biodiversité. Cela m’a révoltée»,
témoigne celle qui est aussi professeure de santé globale à l’Unil.
Aujourd’hui, elle constate avec inquiétude que les courbes de la
malnutrition remontent, à cause des mauvaises récoltes. «A terme, nous
aurons moins de nourriture chez nous aussi.»
Ses premiers pas d’activistes, elle les a faits à Greenpeace, dès
2015. Elle a rejoint ensuite Engagés pour la santé, un groupe de
soignant·es qui réfléchit à un système de santé équitable et respectueux
de l’environnement.
En parallèle, celle qui est aussi conseillère communale verte à
Lausanne s’est engagée à Extinction Rebellion et a cofondé le groupe
Doctors4XR. On l’a vue à plusieurs reprises impliquée dans des actions
de désobéissance civile. «On a surtout mené des actions de
sensibilisation comme des pièces de théâtre, pour expliquer le
réchauffement climatique en lien avec la santé.»
En 2021, avec des centaines de collègues, elle interpelle le
directeur de l’OMS lors de l’Assemblée mondiale de la santé, puis Alain
Berset, pour demander la décarbonisation du système de santé et un plan
pour l’adapter au réchauffement climatique.
Participer à la Marche bleue est pour elle une suite logique.
«Parfois, je me demande quel est le sens de mon métier, au vu de la
catastrophe climatique en cours. On a tendance à continuer à foncer tête
baissée dans notre routine quotidienne. Marcher, c’est prendre le temps
de s’arrêter et de réfléchir.» A Berne, elle portera haut et fort la
revendication d’une Assemblée citoyenne. «Quand les gens sont informés
de manière transparente et équilibrée par toutes les parties prenantes,
ils prennent des mesures en faveur du climat», défend-elle.
Bastienne Joerchel, directrice du CSP Vaud
Bastienne Joerchel, 57 ans, est connue pour son engagement social.
Les questions liées à la globalisation l’ont accompagnée une grande
partie de son parcours professionnel, d’abord à Helvetas, puis à
Alliance Sud, où elle a travaillé pendant dix ans. «Les paysan·nes du
Sud sont les premières victimes du réchauffement climatique. Inondations
et sécheresses dévastent leurs terres. Et la responsabilité des
émissions de CO2 incombent principalement aux pays riches», observe
celle qui est aujourd’hui coprésidente de Swissaid.
Directrice du Centre social protestant Vaud depuis 2017, elle relève
qu’en Suisse aussi, les plus précaires seront les premier·ères à subir
le réchauffement climatique. «Ses conséquences créent des inégalités.
Nous avons besoin d’y répondre de manière solidaire, en prenant en
compte tout le monde», affirme-t-elle. A Renens, elle siège au Conseil
communal dans les rangs des Vert·es.
S’engager pour la Marche bleue, c’est pour elle une «question de
responsabilité». Elle compte profiter de sa fonction pour donner une
visibilité à l’action pour des mesures climatiques. «Lancer cette
initiative entre femmes, cela donne un élan. Dans les pays du Sud,
beaucoup de changements ont été amenés grâce à leur mobilisation. Nous
sommes toutes mères, nous voulons aller vers le mieux, pour nos
enfants.» Elle espère que cela donnera du poids aux initiatives
citoyennes et que la Marche arrivera avec des propositions concrètes à
Berne.
Julia Steinberger, chercheuse
Scientifique et militante, Julia Steinberger, 48 ans, est de tous les
combats pour le climat. «La neutralité scientifique est une idée qu’on
instrumentalise pour protéger le statu quo. Si la science dit qu’il faut
des transformations et que rien ne se passe, l’engagement devient
nécessaire», martèle la professeure en sciences sociales du climat.
Coautrice du dernier rapport du GIEC, elle a commencé à faire de la
«communication engagée» il y a quelques années. «En tant qu’invitée
scientifique dans un festival, j’avais fait une présentation des enjeux
sociaux du réchauffement climatique et encouragé alors les gens à
devenir activistes», relate-t-elle.
Elle a participé aux premières manifestations d’Extinction Rebellion à
Londres en 2018. De retour en Suisse, elle a défilé avec les Grèves du
climat, donné des conférences à la demande d’étudiant·es de gymnase,
puis s’est lancée dans des actions de désobéissance civile. Julia
Steinberger a mené ses plus récents combats au sein de Renovate
Switzerland. Elle n’aime pas le mot «espoir», n’est pas optimiste face à
l’avenir mais donne toute son énergie pour alerter l’opinion publique
et faire avancer la politique.
Alors que les politiques en faveur du climat sont selon elle trop
souvent présentées de manière punitive, marcher ensemble est aussi une
occasion pour les citoyen·nes de réfléchir ensemble à des
transformations positives. «La plupart des gens sont inquiets,
aimeraient faire quelque chose mais se sentent impuissants. En marchant,
en se rencontrant, on va se parler les uns les autres, pour amener un
nouveau souffle», affirme-t-elle en se réjouissant de l’enthousiasme
suscité par une marche portée par des femmes.